Requiem pour les âmes damnés

Aujourd'hui chers lecteurs et charmantes lectrices, je m'apprête à vous emmener faire une balade en Enfer !

Restez bien auprès de moi. Ne vous éloignez pas trop, car il me serait fort pénible de vous retrouver exsangue à l'ombre d'une ruelle. Aussi méfiez-vous de certains sourires fauves...

Cap sur Résurrection. 

Pour un plongeon délicieusement morbide, 

dans l'univers torturé et tordu 

de Pat Mills et de Olivier Ledroit.

Résurrection est un monde décadent et baroque à souhait, un lieu où la mort est une longue fête. 

Résurrection est l'outre-monde. Là où les âmes damnés prennent corps et mort. Tout y est bien sûr inversé. On rajeunit avec le temps jusqu'à la sénilité infantile, les continents sont des mers de sang et les océans ne sont que territoires belliqueux et dangereux. Les lois du Karma y tranchent sec. Plus votre conscience est lourde et votre Karma infecte, mieux sera votre résurrection. Il est important d'être bien-né sur ces terres où votre mort ne tient souvent qu'à un fil. 

La caste la plus noble est celle des vampires. Élitiste jusqu'au bout des dents, cette caste ne tolère que ses plus forts et féroces représentants. Seul un vampire sur dix survit à l'initiation de l'inquiétant Sire Cryptus afin de se mériter le titre de Chevalier Vampire. Les dystopiens vénaux de Sa Reptilienne Majesté, les goules ultra-féministes, la fanatique bande de loups-garous et une multitude d'autres créatures vomies d'une purulente et féconde imagination complètent la lutte des classes. En bons derniers, les hordes de zombies tiennent lieu de populace abrutie à l'image de leur vie antérieure. 

Requiem, vampire tatoué aux croix gammée et inversée.
Pire encore... c'est un romantique désespéré.
Le genre de protagoniste qu'on ne croise pas souvent.

Mais, j'oublie les bonnes manières ! Laissez-moi vous présenter notre protagoniste, Requiem. Né Heinrich Augsburg, ce blond officier pâlot du 3ème Reich est mort au combat sur le front russe pour ensuite renaître vampire. Baptisé Requiem après son initiation, notre anti-héros refuse d'oublier son grand amour à la vie, à la mort - une jeune et jolie juive nommée Rebecca. Celle-ci périt sur Terre aux mains peu délicates de la Gestapo et réapparaît sur Résurrection consumée par le désir de faire la peau à son tortionnaire, un certain Otto Von Todt, qui n'est point étranger à Requiem.

Bon, je vous rassure tout de suite. La bande dessinnée Requiem n'a rien à voir avec l'idéologie nazi. C'est certes une oeuvre sans tabou, un imaginaire débridé qui n'a que faire du politiquement correct et qui campent les personnages dans des postures qui mettent mal à l'aise dès le début - mais il s'agit bien là d'une plume artistique qui se rattache à une tradition littéraire française puisant ses racines dans Les Chants de Maldoror du Comte de Lautréamont et les écrits philo-lubriques du Divin Marquis. Comme on le verra plus loin, Requiem Chevalier Vampire est - du moins à mes yeux - une oeuvre d'une rare qualité littéraire. Le maniement de la langue est subtil, les traits d'esprits acérés et les références culturelles qui y abondent témoignent d'une grande érudition et d'une ouverture d'esprit peu commune. Seule la religion en tant que concept creux en prend une sacrée volée. Si c'est cela qui vous choque, tant mieux ! Ne lisez pas des oeuvres qui vous font peur, vous risquez un brusque réveil de votre torpeur liturgique. Je m'égare, obscur brebis que je suis. Revenons plutôt à nos tourtereaux ! 

Requiem et Rebecca se donnent la petite mort à coeur joie

Outre, cette sensualité féroce et animale qui parsème cette oeuvre si française, l'humour y est aussi particulièrement délectable ! Qui de mieux que Sire Cryptus pour vous y faire goûter...

ou alors une petite allusion coquine...

Traits d'esprit ou de grotesques drôleries, vous y trouverez bien votre tasse de thé. Faites juste attention de ne pas avaler l'oeil flottant par mégarde, c'est juste pour donner un soupçon de tonus. Mais de grâce, refusez énergiquement le nuage de lait !

Bon, trêve de plaisanteries. On ne lit pas Requiem Chevalier Vampire comme une vulgaire histoire. On en profite aussi pour se cultiver. Comme je vous le disais plus tôt, cette oeuvre est truffée de références culturelles - certains évidents, d'autres exigeant une connaissance générale assez poussée et de la perspicacité à les dénicher.

Voyez par vous-même ! Dans l'extrait ci-dessous, Black Sabbath emmène Requiem faire un tour dans les entrailles de son antre secret afin de fomenter un coup contre Dracula. Un extrait certes important pour la suite de l'histoire, mais qui mine de rien, nous parle de Rablais, d'un culte de l'Ancienne Égypte, de l'architecture de la Grèce Antique et de l'occulte selon Aleister Crowley.

Quand on parle du loup... Voici Crowley en personne, aussi féministe que dans le temps !

Mes compères collectionneurs seront ravis de découvrir, au gré des pages, certaines pièces de toute beauté, comme la magnifique Rapière Trident offerte à l'Électeur Christian 1er de Saxe par l'exubérant Vincent 1er de Mantoue en 1587. Cette pièce unique, témoin de l'Histoire, repose paisiblement dans un musée à Dresde en Allemagne. 

Cependant, la Rapière Trident n'est pas aussi exotique que l'Urumi, ces lames d'acier légendaires du plus ancien art martial au monde. Le Kalaripayattu se pratique encore dans le Sud de l'Inde où certains étranges mystiques se souviennent encore de quelques bribes de ce qui fut autrefois un art foudroyant de destruction.

Je prend congé de vous en vous laissant profiter de ces quelques belles images. Mais avant que je ne me retire pour la nuit, permettez cet écart nostalgique ! Car je m'en souviens comme si c'était hier, le début de cet épopée. Ce fut à l'ombre ribaude des sapins des Vosges que je découvris l'univers de Pat Mills avec les yeux pleins de rêve. Une décadente décennie s'est écoulée depuis. Et c'est à l'ombre paisible des sapins du Québec que les derniers tomes de cet aventure se profilent. Le temps passe vite.

Croquez la vie à pleine dent !